III
Renisenb fit appeler Henet.
Henet, qui s’était empressée d’accourir, s’arrêta net quand elle s’aperçut que Renisenb tenait au creux de sa main la moitié de l’amulette brisée qu’elle venait de prendre dans le coffret à bijoux. Le visage de la jeune femme était sévère et dur.
— C’est bien toi, n’est-ce pas, Henet, qui as mis ce coffret dans ma chambre ? Tu voulais que je trouve cette amulette. Tu voulais qu’un jour…
Henet acheva la phrase laissée en suspens :
— Tu saches qui détient l’autre moitié. Je vois que tu es fixée, maintenant. N’est-il pas mieux de savoir ? Henet riait d’un petit rire forcé.
Tu voulais surtout me faire mal ! répliqua Renisenb avec une froide colère. Tu aimes faire souffrir, hein ?… Tu ne dis jamais les choses tout de suite et en face. Tu attends, tu attends… et tu choisis ton moment. Tu nous détestes, n’est-ce pas ? Tu nous as toujours détestés !
— Les choses que tu peux dire, Renisenb ! Je suis sûre, heureusement, que tu ne les penses pas.
Renisenb remarqua qu’il y avait dans la voix d’Henet comme un accent de triomphe. Elle reprit :
— Tu voulais me brouiller avec Kameni ! Eh bien ! sache-le, nous ne nous sommes pas fâchés !
— Il est très bien de ta part d’avoir pardonné, Renisenb. Nofret n’était pas comme toi.
— Ne parlons pas de Nofret !
— Ça vaut peut-être mieux… Kameni n’est pas seulement beau garçon, il a aussi de la chance. On peut dire que, pour lui, Nofret est morte au bon moment, car elle aurait pu lui causer toutes sortes d’ennuis… avec ton père. Car j’imagine qu’elle aurait vu ton mariage avec Kameni d’un très mauvais œil. Ça ne lui aurait pas plu du tout !… Et je suis même bien convaincue qu’elle aurait trouvé un moyen quelconque d’empêcher votre union.
Renisenb considérait Henet avec une méprisante froideur.
— Tes paroles sont toujours empoisonnées, Henet. Mais il n’est pas en ton pouvoir de me rendre malheureuse.
— Je me réjouis de ton bonheur, Renisenb. Tu es évidemment très amoureuse de Kameni… C’est un beau garçon qui sait bien chanter les chansons d’amour… Je suis tranquille pour lui, il obtiendra toujours tout ce qu’il voudra ! Oui, vraiment, je l’admire. Il a l’air si franc, si loyal…
— Où veux-tu en venir, Henet ?
— Mais nulle part ! Je dis simplement que j’admire Kameni et que je suis sûre qu’il est franc et loyal. C’est très beau ! Toute cette aventure fait songer à ces récits qu’on entend faire aux conteurs d’histoires qu’on rencontre sur les marchés. Le pauvre petit scribe épouse la fille de son maître, partage l’héritage avec elle, ils sont heureux et ils ont beaucoup d’enfants. Je trouve ça charmant et je dis que c’est une chance pour un jeune homme que d’être bien de sa personne.
— J’ai raison, dit Renisenb, tu nous hais !
— Comment peux-tu dire cela, alors que tu sais fort bien que j’ai travaillé pour vous tous comme une esclave, depuis la mort de ta pauvre mère ?
Le propos n’était pas neuf, mais le ton n’était plus le même. Une fois encore, Renisenb remarqua qu’Henet ne geignait plus et qu’elle paraissait savourer une victoire. Elle baissa les yeux sur le coffret à bijoux, resté sur la table, et une autre idée lui vint à l’esprit.
— C’est également toi, n’est-ce pas, qui as mis le collier – celui-ci, le collier de perles avec le pendentif – dans le coffret ? Ne nie pas, Henet, j’en suis sûre !
Henet paraissait maintenant atterrée. Je n’ai pas pu m’en empêcher, Renisenb. J’avais peur…
— Peur ?… Comment ça ?
Henet s’approcha et baissa la voix.
— Ce collier, Nofret me l’avait donné peu de temps avant sa mort… Oui, elle m’avait fait comme ça un ou deux cadeaux. Elle était généreuse, tu sais, très généreuse…
— Elle payait bien.
— Il y a des façons plus aimables d’exprimer les choses, Renisenb. Quoi qu’il en soit, je veux tout te dire. Elle m’a donc donné ce collier de perles à trois rangs, une broche ornée d’une améthyste et deux ou trois autres bijoux. Quand le petit pâtre est venu raconter qu’il avait vu une dame qui avait au cou ce même collier… je l’avoue, j’ai eu peur ! Je me suis dit qu’on allait peut-être penser que c’était moi qui avais empoisonné le vin de Yahmose… et, pour m’en débarrasser, j’ai placé le collier dans le coffret…
— Me dis-tu la vérité, Henet ? Dis-tu jamais la vérité ?
— Je te le jure, Renisenb ! J’avais peur.
Renisenb la regarda.
— De fait, Henet, tu trembles ! On dirait que tu as encore peur maintenant.
— Eh bien ! c’est vrai. J’ai peur… et il y a de quoi !
— Pourquoi ?… Dis-le-moi !
Henet passa sa langue sur ses lèvres minces. Elle se retourna, pour s’assurer qu’il n’y avait personne derrière elle. Ses yeux faisaient songer à ceux d’une bête traquée.
— Allons, reprit Renisenb, parle.
Henet secoua la tête et répondit d’une voix mal assurée.
— Je n’ai rien à dire.
— Tu sais trop de choses, Henet ! Tu en as toujours su beaucoup trop. Autrefois, ça t’amusait. Mais aujourd’hui tu te rends compte que ça peut être dangereux. C’est bien ça ?
Henet, de nouveau, secoua la tête.
— Prends patience, Renisenb ! dit-elle ensuite avec un rire sarcastique. Un jour viendra où, dans cette maison, c’est moi qui tiendrai le fouet… Et je le ferai claquer, je te le promets ! Attends. Tu verras.
Renisenb rejeta la tête en arrière.
— Peut-être, Henet. Mais, à moi, tu ne me feras pas de mal ! Ma mère ne te le permettrait pas.
Henet changea de visage. Ses yeux brillaient de rage.
— Ta mère, s’écria-t-elle, je la hais ! Je l’ai toujours haïe !… Et, toi, toi qui as ses yeux, sa voix, sa beauté, son arrogance, toi, Renisenb, je te hais !
Renisenb, à son tour, éclata de rire.
— Enfin, Henet. Enfin, je t’ai amenée à le dire !